Le jeu pernicieux de la publicité
La pluralité apparente qui réside dans la propriété des médias n’est pas synonyme de pluralisme des médias, ni de diversité de contenu. Le fonctionnement du marché médiatique marocain contribue à uniformiser le ton des publications, comme cela s’est vu pour la presse économique. L’industrie publicitaire jouant en faveur de certains médias, la presse indépendante connaît de grandes difficultés pour survivre et se développer. Suivant la tendance pour continuer d’exister sur le marché, certains médias ont dû modérer leur ligne éditoriale afin d’éviter le boycott publicitaire.
Un marché opaque et discriminant
Il existe un manque significatif de transparence sur le marché de la publicité. L’absence de mécanismes bien établis pour le réguler contribue à en faire un marché opaque, duquel certaines publications, pourtant populaires, peuvent être – et on été- victimes de boycott, tels que Telquel, Nichane and Le Journal Hebdo dans les années 2000.
La seule information que l’équipe du MOM a pu obtenir concernant l’industrie publicitaire concerne le poids total du marché, sa répartition par domaine d’investissement et par support (presse papier, radio, télévision et affichage publicitaire). Sur les 386 millions de USD investis dans la publicité en 2016, 44% sont couverts par le secteur des télécommunications, celui de la banque et de la finance ainsi que celui de l’industrie agroalimentaire. Le secteur des télécommunications est fait de trois entreprises qui sont toutes détenues en partie par des capitaux étrangers (français, koweitiens et émiratis). Au total, ces entreprises représentent un quart des investissements.
Ces informations ont été obtenues par l’intermédiaire du Groupement des Annonceurs du Maroc (GAM). Toutefois, aucune information spécifique concernant les plus grands annonceurs n’était disponible.
Le plus attractif : le secteur audiovisuel
Au Maroc, le secteur le plus attractif pour l’investissement publicitaire reste globalement celui de la télévision, occupant une part de marché de 39,80% au premier semestre 2017. La radio et le secteur de la publicité sont à la traîne avec respectivement 16,70% et 13,20%/ en 2016, le montant du revenu du secteur publicitaire pour le secteur audiovisuel (télévision et radio) s’est élevé à 219 millions de USD, ce qui est l’équivalent de quatre fois le secteur de la presse.
En raison de l’opacité du marché médiatique et du secteur publicitaire, il est toutefois difficile de savoir qui sont les premiers bénéficiaires de la publicité.
Le secteur de la presse papier: des prix élevés pour des ventes réduites
Contrairement à la télévision, la radio et la presse numérique, le secteur de la presse papier génère des revenus de ses ventes en plus de celui de la publicité. Il est possible d’estimer le revenu généré par les ventes en se basant sur les ventes annuelles et le prix unitaire des publications (disponibles auprès de l’ODJ). Ayant accès aux revenus de 13 des 16 entreprises de presse papier sélectionnées pour l’étude, il a été possible de calculer la proportion des revenus générés par d’autres variables que celle de l’achat individuel. Les résultats de ces calculs sont en accord avec les conclusions de cette étude concernant la presse francophone . Les revenus totaux des entreprises ALM Publishing (Aujourd’hui Le Maroc), Impression Presse Edition (La Nouvelle Tribune) et Horizon Press (Les Inspirations ECO), sont respectivement 11, 13 et 14 fois supérieurs à ceux générés par leurs ventes. Maroc Soir et La Vie Eco Presse ne sont pas loin de ces chiffres avec des revenus de vente représentant respectivement 1/9ème et 1/7ème de leur revenu total. Telquel et EcoMedias (L’Economiste et Assabah) sont toutes deux autour d’un ratio de 3,8%.
Il peut être déduit de ces observations que la différence entre le revenu total et le revenu généré par les ventes est un bon indicateur du montant reçu par une publication au travers de la publicité. Le cas de l’entreprise Maroc Soir est particulièrement parlant pour cette étude. Le revenu généré par sa publication phare, Le Matin, avoisine 1,2 millions de USD (2016) alors que le revenu de l’entreprise est à 11 millions de USD et son chiffre d’affaires essuie une perte de 950 000 USD, en comprenant une augmentation de capital[a1] de 15 millions de USD en 2005. Toutefois, le Matin reste cher sur le marché de la publicité, étant perçu par les professionnels comme une publication au travers de laquelle il est possible de se positionner, ou du moins, de signaler son assentiment au pouvoir politique.
La presse en ligne prise en étau
En raison du manque d’information sur le marché de la publicité en ligne, il est difficile de tirer une nette conclusion concernant ce segment. La multiplicité des acteurs et l'érosion des tarifs des insertions qui en découle, fragilise les acteurs déjà considérés à la marge du marché, notamment les pure players qui ont de plus en plus de difficulté à assoir un modèle économique viable. Ces conditions contraignantes forcent les médias en ligne à développer de nouveaux concepts de contenus payants, notamment à travers la pratique du brand content qui impacte la qualité et l'indépendance de leur production éditoriale.
De plus, le marché de la publicité en ligne au Maroc semble suivre la tendance internationale : alors que les réseaux sociaux gagnent en popularité, les investissements publicitaires bifurquent vers les GAFA de la Silicon Valley tels que Google et Facebook, n’ayant aucune retombée sur le marché local. Cet effet d'éviction au détriment des marques de presse locales hypothèque dangereusement leur avenir et leur rôle de médias d'avant-garde, alors que les investissements qu'ils consentent pour s'assurer d'une présence à la page en terme technologique amenuise leur avantage comparatif originel avec la presse papier en terme de coût d'exploitation.
Sources
Khairi, G. in Le Nouvel Obs (2010). Maroc : le magazine arabophone Nichane meurt étouffé. Accessed on November 16th, 2017.
Mouillard, S. in Libération (2010). Au Maroc, le «Journal hebdomadaire» jette l'éponge. Accessed on November 16th, 2017.
Finance News (2003). Presse partisane et presse indépendante. Quoted in Maghress. Accessed on November 2017.